C comme Conversation un dimanche

Juin 2010

- (Presque un murmure) Ces jours-ci, ses parents vont répandre ses cendres dans l'île de Skye.

- Je n'ai pas entendu... ?!

- Ces jours-ci. Ses parents. Répandre ses cendres. L'île de Skye. J'ai du mal à le dire clairement, parce que ce sont ses cendres, tu comprends ? ; ça veut dire qu'il n'existe plus.

- Mais c'est beau, écoute : l'île de Skye. Sky... C'est là où il va reposer. In the sky...

- (Elle sourit). Il disait souvent ça : "Sky is the limit", ça veut dire qu'il n'y a pas de limites, il faut être brut, entier, sincère, tout faire extrêmement, dépasser ses limites.  Je sais que tu comprends.

Elles se taisent. Elles sont deux. Ou trois.

...

- Qui est-ce ?

- Je ne sais pas.

- ?!?

- Oh c'est juste un homme, un ami d'amis.

- Et ?

- Et rien. Je le connais peu. Je crois qu'il est sympathique. Enfin non. Doué pour la sympathie. L'empathie, aussi.

- D'accord.

Elles se taisent, elles regardent l'homme qui se dirige vers leur table. Elles le dévisagent en douceur, en douce.

...

- Tu peux tout garder ? On va fumer dehors...

L'homme acquiesce :

- D'accord.

Elles ont le né collé sur la vitrine de la librairie. Pas une pâtisserie, mais tout comme, avec, à l'intérieur, des délices. En l'occurence il y a ce livre : "Crime et châtiment". Elles regardent. Des tableaux. Des gravures. Des pages du livre, exposées dans la vitrine.

La première s'interroge intérieurement : Catalogue d'exposition ? Livre d'art ? Version luxueuse du roman ? Elle demande à voix haute :

- Qu'est-ce que c'est ?

- "Crime et châtiment".

Pause. Elles se regardent. Elles éclatent de rire. Elles rient, longtemps. Deux gamines. Il y a une poignée sur la vitrine, étrangement. Elles font mine d'essayer de l'ouvrir.

- Tu n'as jamais eu envie de faire un casse dans une librairie ? Ce serait vraiment insolent.

- Et chic.

...

Il regarde sa bague, un anneau d'argent avec une inscription.

- Qu'est-ce qui est inscrit ?

- "Au milieu de nulle part", dit l'une.

L'autre précise :

- C'est une amie qui la lui a donnée, en lui disant : C'est pour se souvenir. Que quoi qu'il arrive, quoi qu'on fasse, n'importe quand et n'importe où, bref, "au milieu de nulle part", il y a toujours quelqu'un sur qui on peut compter.

Ils se taisent tous les trois. Ils regardent la bague.

...

- Tu te souviens de cette photo, Art is Truth ? J'aimais bien cette façon dont tu me tenais, j'étais en équilibre instable, forcément. J'allais tomber si tu ne me tenais pas, il y a juste ce geste de ton bras, un geste juste, elle est tendre cette image. Faisons l'écho, "Art is Truth, II". Tu veux bien ? (A l'homme :) Tu peux faire cette photo s'il te plaît ?

- (l'homme) : oui, oui.

- D'accord, viens ici. Laisse-toi aller. Non, pas comme-ça, laisse-toi vraiment aller... Voilà.

Elle la fait se tourner et la tient aux épaules. Elle la regarde s'abandonner de tout son corps, de toute son âme. Entre des mains amies. L'homme les regarde. Il appuie sur le déclencheur. On entend le bruit particulier du Polaroid. Dans le café on les prend pour des fous, ça n'a aucune importance. Ils sont trois, concentrés sur une image qui prend son temps pour apparaître. Le temps s'est arrêté.

La vérité ? Truth is art.

...

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